Philippe Huyghe, champion colombophile français


La main mise de nos amis belges sur le monde colombophile moderne n'est pas le seul élément expliquant le peu de médiatisation dont bénéficient les amateurs français sur le plan international. Il est pour nous aussi, colombophiles français, plus facile de citer 10 noms de champions Belges ou Hollandais, surtout en grand fond que 10 Français. Demandez d'ailleurs aux champions de l'arrière main s'ils voudraient vraiment, dans les internationaux (comme ailleurs), jouer en point avant...


On ne peut toujours rejeter la faute sur les autres ; nous sommes, il faut le reconnaitre champions du monde de l'autodénigrement, et de surcroit pas très doués pour nous mettre en valeur.


Et pourtant, des talents, notre France colombophile en regorge ; je vous invite à faire la connaissance de l'un d'entre eux : Mr Philippe Huyghe, qui depuis le chef-lieu d'Arras (F-62) n'en fini pas d'étoffer un palmarès déjà pourtant fameux.

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L'homme


On se croirait quasi en Hollande, quand, d'une petite maison de brique encastrée dans toute une file de ses jumelles sort un grand gaillard. Notre géant ch'ti est résolument un homme de caractère, mais le socle sur lequel il est bâti est fait d'une honnêteté des plus irréprochable.


Côté coulons, le moins que l'on puisse dire est qu'il est dans son élément. Fort d'un très solide écolage auprès du super champion Belge feu Léon Lemaire, dont il fut un temps le soigneur, et ensuite collègue de tri, notre homme connait la partition sur le bout des doigts. Ceci ne l'empêche pas d'être en perpétuelle remise en question et recherche d'amélioration sur tous les plans. Pas dans le but de briller, de se faire valoir, mais juste de se faire plaisir, de profiter du fruit du travail accompli autour de la lignée de pigeons qu'il se complait à construire et consolider saison après saison. « Elever des pigeons, les jouer, les trier et se faire plaisir »


Petit à petit...


Après avoir écumé les concours en demi-fond et fond (Groupement et fédéraux Nord Pas De Calais où il a joué très fort), notre ami s'est attaqué résolument vers les internationaux depuis quelques années. Il lui arrive encore de faire des coups d'éclat sur les fédéraux NPDC qui servent d'écolage aux équipes de vols longues distances. Il faut dire que c'est la même base de voiliers (essentiellement des Léon Lemaire et des Naessens) qui est passée d'une sélection « demi-fond / fond » à une sélection « grand fond ». Il ne faut pas négliger bien évidemment des apports extérieurs bien ciblés sur des lignées spécialisées de tout premier plan. Patiemment, Philippe Huyghe a ainsi une souche où les succès s'étalent sur plus de 3 générations dans les internationaux. Un must.
A noter que de belles satisfactions ont été obtenues avec les introductions de pigeons d'origine Desbuquois de chez Désir Christian , les Ben, les Dinguemans , Bavencoff, Beaujan, Vermortel, Opsomer ; d'autres introductions sont actuellement à l'épreuve.


Pour notre ami, comme pour beaucoup de champions, le plus important est d'avoir des bons pigeons ; sans ceci, rien n'est possible.


La colonie


20 couples de reproducteurs forment le terreau de la colonie. Ceci va des vieux coucous qui sont gardés pour services rendus, mais qui pour certains produisent encore malgré un âge avancé, aux introductions, et autres essais d'apport sur le sang de base. Au titre des introductions, le plus important n'est pas le nom sur le pedigree, mais bien ce qu'il peut démontrer dans les ascendances directes du sujet convoité. « Quand vous achetez un petit-fils, c'est déjà avec les arrières petits-enfants que vous voyagez »... Le plus près dans la famille est donc le mieux, et chez des amateurs sérieux, moins médiatisés, vous aurez toujours de meilleurs pigeons à un meilleur prix. Notre champion croit beaucoup à la famille ; un moment ou un autre, « ça ressort ».


Ils auront droit à 2-3 tournées de jeunes par saison pour montrer la qualité de leur progéniture.


Une centaine de jeunes est élevée chaque année ; elle fournira de quoi combler les trous faits lors de la saison parmi les 36 couples de voyageurs.
La colonie repose en grande partie sur les' Léon Lemaire', croisés sur les 'Naessens', un pigeon notamment va marquer la colonie : le 214/96 ; voyageur d'exception, il sera très vite arrêté pour passer en reproduction. Bonne pioche puisqu'aujourd'hui il est présent dans les meilleurs éléments de la colonie, génération après génération. De nombreuses autres introductions via des achats, des échanges ou des élevages communs avec des amis sont venus consolider cette base ; l'accent est mis sur la recherche perpétuelle d'éléments de classe visant à potentialiser la souche en place et la maintenir au 'top niveau' ; qui n'avance pas, recule...

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Chaque année, des jeunes sont aussi tirés sur les meilleurs voyageurs ; ceci permet d'avoir des sujets des générations en activité et de détecter éventuellement un reproducteur de valeur.


Les installations


Le colombier comporte un étage. Au rez-de-chaussée sont hébergés les reproducteurs, ainsi que les jeunes. L'étage est composé de 3 compartiments de 12 veufs, ainsi que 3 compartiments de 12 loges chacun pour les femelles.


Gestion globale


L'élevage commence en novembre, avec l'accouplement des reproducteurs et des voyageurs. Les voiliers vont élever la première tournée des reproducteurs, et, pour les meilleurs d'entre eux, une paire de leurs propres jeunes ; les mâles finiront l'élevage, pour éviter une reponte qui favoriserait une mue trop hâtive pour la fin de saison.


C'est vers la mi-mars que les voyageurs seront à nouveau accouplés et autorisés à couver de 5 à 10 jours ; dès lors, commence la période dite de veuvage. Le veuvage total est pratiqué, avec 36 couples, yearlings compris.


Les pigeons sont joués par compartiment, entendez par ceci qu'un même programme est suivi par tous les éléments du compartiment.


Les 'un an', qui sont mélangés aux voiliers plus expérimentés, ne participent pas aux internationaux ; ils sont enlogés aux courses de préparation des plus vieux, mais, aux dates où les anciens partent pour les joutes de l'ouest européen, eux vont être éduqués sur les fédéraux NPDC et les CALC NPDC (500-650km). Le but est de les épargner pour ne les lancer qu'en pleine force de l'âge aux longues distances. Environ 7 à 8 mâles et autant de femelles de un an pourront continuer l'aventure l'année suivante.

 


Les '2 ans' bénéficient aussi d'un allègement de programme ; outre une paire de fédéraux de mise en route, ils devront se frotter aux collègues internationaux au moins une fois ; 2 pour les moins démonstratifs de qualité.


C'est à 3 ans que les choses sérieuses sont présentes, avec un minimum de 2 participations aux 'inter', plus souvent 3 fois, la variabilité résultant de la difficulté des courses engrangées.


Les pigeonneaux sont gardés en demi-fond (jusque 450 km). Ils sont joués assez jeunes par contre, pour perdre les faiblards et les plus sots d'entre eux. Un dernier tri à la main validera le passage en année supérieure pour une vingtaine d'entre eux dans chaque catégorie de sexe, selon la qualité de prestation des 'vieux'.


Les voiliers sont mis en route sur de petites étapes de 120-130 km, quand le beau temps est de la partie, puis arrive Blois (300 km), suivi classiquement de Limoges (600 km) avant d'attaquer le travail sérieux, qui débute par Pau international.


Les pigeons ne sont pas réunis avant une épreuve de façon à les garder le plus calme possible, et ne pas déranger les pigeons des autres compartiments qui ne partent pas le même week-end (différentes classes d'âge) ; au fur et à mesure de l'avancée de la saison, cette règle est cependant susceptible d'évoluer pour motiver les partenaires.


Au retour, les couples restent ensemble entre 1 et 2 heures en début de saison ; cette durée évolue jusqu'à ce que les conjoints ne soient séparés que le lendemain en fin de saison.


Les volées se font au rythme d'une sortie d'une demi-heure par jour en début de saison pour passer à deux (matin et soir) dès le mois de juin. Les durées de volées ne sont pas rallongées en cours de saison ; l'énergie est gardée pour le vol des trajets retour, et n'a pas à être dilapidée en semaine.


Les colombiers sont à cette occasion nettoyés matin et soir ; les femelles entament la volée dès 5h45 en saison ; pendant ce temps, les mâles sont pris un à un pour être placés dans les loges des femelles, d'où ils seront libérés pour leur volée dès 6h15. Les femelles rentrent donc manger dans le casier de leur partenaire, puis, le temps de l'entrainement de ce dernier, repassent dans leurs loges.


Ceci permet de prendre en main chaque pigeon 2 fois par jour. Par contre, ce système assez contraignant ne souffre pas de retardataires lors de la rentrée d'entrainement, car il ne s'agit pas d'être en retard pour l'embauche ensuite.


Les pigeons bénéficient en parallèle d'un bain libre par semaine ; c'est l'occasion de les déparasiter (parasites externes), ce qu'il ne faut pas négliger.

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Sélection, sélection


Vous voyez que les places pour demeurer au colombier de Philippe Huyghe plusieurs années sont chères, et ce n'est pas moins de 55 % de l'effectif qui est remplacé chaque saison par la toute jeune génération (20 unités de chaque sexe), alors que dans le même temps, un peu plus de 22 % des plus de 2 ans doivent partir au profit des 'un an' qui ont laissé entrevoir une classe suffisante pour sauver leur tête (8 pigeons de chaque sexe). Nous sommes donc chaque année à un taux de replacement des vieux de +/- 78 %.


Les classes d'âges supérieures à 2 ans représentent donc +/- 8 pigeons pour chaque catégorie de sexe. Sachant que les pigeons sont facilement joués jusque 6 ans, vous imaginez ce qu'un oiseau doit réaliser pour conserver le droit de passer l'hiver dans sa loge...

 

De l'économie des 'un an'


Voici quelques années, notre champion avait lui aussi tenté les yearlings sur les longues distances, et avec un vrai succès : sur le sélectif St Vincent 2004, l'équipe de yearlings avait défendu avec brio les couleurs du colombier réalisant les places suivantes sur le contingent NPDC : 7 ; 19 ; 31 ; 52 ; 62 ; 90 ; 97 ; 104 ; La saison suivante avait donc été abordée avec beaucoup d'espoirs, notre champion pensant bien avoir trouver là une équipe qui allait lui rapporter de nombreuses satisfactions dans les années à venir... la chute n'en fut que plus rude, et la saison qui suivi balaya bien rapidement toute illusion... Vous comprendrez maintenant la prudence de notre homme avec les jeunes générations. « Sagesse est mère de sureté » ne dit-on pas.


Suivi sanitaire


Une vaccination contre la paratyphose est réalisée courant octobre, soit assez avant les accouplements (novembre). Ceci peut être ou pas précédé d'un traitement spécifique (antibiotique). Cette vaccination fera bénéficier la future génération des anticorps présents dans les organismes des parents.
C'est en février-mars que les pigeons seront vaccinés contre la paramixovirose (PMV) et également contre les poquettes.


Juste avant l'entame de saison sera aussi réalisé un traitement de 3 à 5 jours contre la trichomonose (alternance de produit pour éviter les résistances). Un rappel de 2-3 jours est ensuite effectué toutes les 3 à 4 semaines.


Une visite chez le vétérinaire est également au programme, pour éviter d'éventuelles déconvenues émanant d'autres maladies (coccidiose, vers, etc). Les pigeons ne sont alors traités qu'en cas de besoin. D'autres visites chez l'homme de science sont orchestrées pendant la saison, notamment si la condition baisse, pour ne pas traiter à l'aveugle.


Au sujet du coryza, notre ami conserve en mémoire que ceci est souvent secondaire à une autre problématique (tricho, cocci, vers, etc), qu'il convient de détecter et de traiter pour retrouver le chemin des prix de tête.


Outre l'état corporel du pigeon (pris en main tous les jours en saison), les volées sont un grand baromètre de la santé des protégés de l'Avenue de l'Hippodrome : des pigeons qui tiennent bien la volée en 'tirant', partent haut, contre le vent notamment, sont un bon signe de santé. De même que des gouttes oculaires rapidement évacuées par les muqueuses et le canal lacrymal.


Vous l'aurez compris, le but n'est pas de faire marcher le business de la pharmacopée spécialisée, mais bien de traiter le moins possible, tout en conservant des oiseaux en santé, capables de briller dans les épreuves très sélectives que sont les internationaux. En parallèle, ce choix permet de continuer à enloger des pigeons de 6 ans et plus, non saturés de produits divers. Notez aussi que les voiliers de ces types d'épreuves sont amenés à rester de nombreuses journées en panier avant d'être libérés pour leur long trajet retour. Le mieux, face à cette réalité, est de conserver un maximum de rusticité naturelle pour éviter une trop grande sensibilité aux infections diverses disponibles dans les paniers.


Dilemme et résolution forte


Côté sanitaire, notre ami, n'a pas hésité (quoique !) à éliminer un pigeon qui, hors coccidiose, à laquelle il était particulièrement sensible, était un tout bon pointeur, tant sur les fédéraux que dans les internationaux. Dur dilemme que de déclasser un tel oiseau pour assumer un choix clair : constituer une souche de pigeons de classe internationale à la santé la plus naturelle possible. Tenir bon ses idéaux nécessite parfois de difficiles sacrifices.

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Alimentation


En saison, l'essentiel de l'alimentation est couvert par un mélange fait maison, composé de : 1/3 diète, 1/3 dépuratif, 1/3 sport. Ce mélange a été mis au point grâce aux remarques d'un ami, lors de la grippe aviaire, où, dans la perpétuelle incertitude quand à la date à laquelle les pigeons pourraient être autorisés à partir, il a fallu s'adapter et trouver une solution pour les garder ni trop gras ni trop léger, mais prêt à partir très rapidement. C'est ainsi que ce mix a été validé et est maintenant la base du menu entre les courses.


Au retour, un mix plus riche est fourni : composé d'½ diète et ½ sport, il va permettre aux voiliers de reconstitué des forces rapidement. Selon la dureté de l'épreuve, ce mélange plus riche pourra être servi jusque quelques jours après le retour.


La récupération est un des points primordiaux visés pendant la saison, il fait ici pour 50% de la préparation à la course suivante. A ne surtout pas louper donc.


Les derniers jours avant l'enlogement, le mélange sport est donné, sur base de la règle d'un bon repas pour 100 km retour à parcourir. Il ne s'agit pas alors de faire des pigeons des barriques, mais de les amener dans un tout bon état, avec suffisamment de réserve pour l'effort à fournir ; « en tout le trop nuit » ne dit-on pas.


A noter une certaine défiance maintenant envers une utilisation peu parcimonieuse de mélanges trop riches en fin de préparation, tels les friandises ou autres mélanges 'énergy', susceptibles d'encrasser les organismes et de voir la capacité de pointer s'émousser en fin de saison.


Suite aux repas, les abreuvoirs sont vidés matin et soir ; entre deux, durant la journée, rien n'est laissé à disposition ; l'eau absorbée est ainsi toujours fraiche, non croupie. A noter qu'un pigeon qui se jette sur l'abreuvoir suite à la volée est en mauvaise condition : quelque chose cloche alors sur le plan sanitaire.


Pendant la mue, un mélange de base est servi, auquel est rajouté du lin et du colza ; de l'huile du commerce 'isio4' est également ajoutée sur le grain.
Pendant l'élevage, par contre ce sont pois et féveroles qui sont apportés pour compléter le mélange de base.

Produits complémentaires


Comme pour les médications, attention est portée par notre champion à ne pas surcharger inutilement l'organisme de ses protégés.


Le 'Tovo' (Teurlings®) est assez bien utilisé au retour de compétition notamment ; la récupération est complétée avec des huiles, de la levure de bière, éventuellement du Sédochol®, des probiotiques. Des produits aussi tel 'Tollyamin forte (Schroeder®) sont fréquents au retour d'étapes internationales ; pour le début de saison, c'est plutôt le miel qui accompagne la récupération de parcours moins importants. Du lait en poudre pour bébé est parfois servi aussi pour aider le maintien en top condition.


Les derniers jours, rien n'est donné sur le grain pour ne pas freiner l'appétit des pigeons en partance.


Un des éléments les plus important, qui lui, ne manque jamais au colombier est le grit. Il doit être frais pour rester prisé des oiseaux, aussi, c'est une petite ration quotidienne qui est administrée. En parallèle est ajouté du Vitaminéral et de la pierre d'argile faite maison.


Les vitamines sont assez peu données, pour éviter de faire muer trop tôt les pigeons et ainsi hypothéquer la fin de saison.


Quelques résultats:


En seulement 5 années, de 2002 à 2007, alors qu'il se lançait plus précisément dans le registre des internationaux, notre champion a su réaliser les prix suivants :


11 fois 1er NPDC,
12 fois 2ème,
45 fois top 5 NPDC


Excusez du peu, mais ce n'est pas ouvert à tout le monde. Sur cette même période, il se classait 11 fois dans le top 20 international, avec 2 fois 1er international femelles...


Vous le voyez, Philippe Huyghe n'est pas le premier venu en colombophilie ; quand il vous dit que ce n'est pas si mal, c'est quand même au dessus de ce que ne pourrons jamais réaliser l'extrême majorité des colombophiles, français et étrangers.

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Homme droit, excellent couloneux et...mains d'or


Pour l'avoir mis à l'épreuve du tri de reproducteurs voici peu, je puis vous assurer qu'il sait lire dans un pigeon comme dans un livre ouvert ; ceci dépasse l'éducation tactile sans l'ombre d'un doute et est tout simplement bluffant ! (Je parle ici de jugement de pigeons que je connaissais bien évidemment, et pas de pigeons en possible devenir où rien n'est vérifiable). C'est vraiment la première paire de mains de cette qualité qu'il m'ait été donné de croiser, chapeau !
Il ne fait pas de doute que nous allons retrouver dans les années à venir l'ami Philippe Huyghe aux avant-postes dans les internationaux. Il fut d'ailleurs 1er Français sur Agen 2014 (48ème International). Ce n'est de plus pas en France que nous allons mettre en doute la bien connue règle 'jamais 2 sans 3', aussi, nous ne pouvons douter qu'un troisième sacre international ne passe entre ses mains expertes d'ici peu de temps.


C'est bien tout le bonheur que je souhaite à cette sympathique figure du sport colombophile français moderne et sa très gentille épouse, succès !


David Chassagne, Février 2015