Deux victoires nationales sur deux épreuves différentes de fond le même jour. Même un habitué des places d'honneur depuis des lustres comme l'ami Joseph Schmitz n'est pas près d'oublier cette date du 25 juillet 2015 où il rafle Tulle et Narbonne National !

Joseph Schmitz et ses deux vainqueurs nationaux du 25/07/2015

Des décennies au top

Quand vous entrez dans la petite pièce réservée aux trophées qu'il a conservés, une chose qui frappe est que vous trouvez aussi bien des trophées et diplômes récents que d'autres datant d'une quarantaine d'années. Notre ami n'est pas un bricolo à la petite semaine, et c'est en 1974, sur Châteauroux, qu'il célébrait sa première victoire nationale. Finalement, un virage logique vers le fond et le grand-fond a été résolument opéré. La situation très à l'Est du pays va de paire avec de faibles contingents et une situation géographique pas toujours des plus avantageuses, mais il faut faire avec. En 2000, le titre d'As fond national tombait dans son escarcelle, et l'année d'après, c'était le sacre sur Brive national, avec en prime un titre de 4ème As fond national. Citons aussi un 2ème national sur Souillac et sur Pau, un 3ème national et international sur Béziers en 2005. Du top 10 national, il n'y a que la huitième place qu'il n'a pas essayée (2ème, 4ème, 6ème et 9ème encore sur Montauban, 5ème sur Perpignan, 6ème Cahors et Limoges, 7ème sur Périgueux et pour finir 10ème sur Jarnac).

    

La petite salle des trophées témoignent de plusieurs dizaines d'années de succès

 

25 juillet 2015

Cette après-midi-là, le moins que l'on puisse dire, c'est que sur Baelen (B) notre ami qui attendait ses pigeons depuis l'extérieur (les colombiers sont au deuxième étage) ne craignait pas de prendre un coup de soleil ; la pluie tombait drue et c'est couvert d'un coton huilé qu'il fait le gué.

18h11'47 '', un bleu matricule Belg 1024929/2013 s'abat sur la trappe du plus grand des compartiments de veufs. Il réalise ainsi la vitesse de 1 341,96 mpm, soit un peu plus de 9 mpm devant le pigeon qui fera le 2ème national de Tulle 2015. Assez rapidement, le téléphone chauffe, c'est acquis le troisième premier prix national de sa carrière est dans la poche. Déjà les journalistes colombophiles requièrent des informations pour renseigner leurs articles.

   

 Le Tulle, occupé à un dernier tour d'élevage

 

Toujours au téléphone, à 20h54'11'', Joseph, qui attend Narbonne, n'a que le temps d'apercevoir une queue de pigeon s'enfoncer sur la trappe du compartiment des veufs ; il ne sait pas encore que c'est un 'Narbonne', le Belg 1022822/2010. Son épouse le lui annonce depuis la fenêtre de la cuisine, la météo ne permettant pas de sortir le terminal électronique à l'extérieur ; Fabien, lui, se chargera de l'annonce internet (PIPA). Très vite la vitesse du 822/10 n'a pas d'annonce plus rapide sur le site colombophile référence sur la toile : 1 115,14 mpm. Je me rappelle cette réflexion faite à mon épouse en regardant les annonces un dernier coup avant de partir pour la soirée : 'Joseph vient de gagner Tulle et il va gagner Narbonne !'. Il y a des gens pour qui vous savez que c'est impossible, mais Joseph Schmitz n'est pas un débutant, et aussi énorme que puisse être cette exceptionnelle performance, je savais que lui était capable. Le vent était pour l'est du pays ce jour-là, et malgré la pluie, le tour était possible. En effet, aucun poursuivant ne dépassera cette vitesse de 4 mpm plus rapide finalement que le second national de Narbonne 2015.

   

 Le Narbonne, lui aussi occupé à donner des descendants avant un départ tout proche

 

Certes, le vent poussait à l'est, mais les choses ne sont pas si simples, et, malgré des effectifs, il est vrai, restreints, la province est riche en brillants amateurs, capables de briguer une victoire nationale. Gagner une épreuve n'est pas choses aisée, mais deux, qui plus est le même jour, sur deux lâchers différents, que dire sinon « chapeau ! ». Autant des jours rien ne va, autant d'autres vous sont acquis...

Au final, notre ami fera un beau 4/5 sur Tulle vieux, avec au passage les 1er et 68ème national (18h32). Sur Narbonne, il fera du 50 %, avec 1 prix de 2, ce qui n'est pas si mal avec un 1er national à la clef...

1er National Tulle

Le 1024929 de 2013 est un joli mâle bleu, de gabarit moyen, soyeux de plume, signe de fabrique des pigeons « made in Baelen » ; il est fils du 2ème National Souillac 2008. Tel père tel fils. Le grand-père du 2ème national Souillac est le 671/90, un super voyageur (2 fois 12ème national Cahors et 18 national Narbonne), du côté de sa mère par contre on retrouve la lignée du fameux Perpignan (663/92), un super pigeon, très présent encore par ses descendants, et qui a fait les beaux jours du Japonais qui l'a acheté à l'époque, pour jouer sur des épreuves dures, entre mer et montagne.

 Le Perpignan, qui se révèlera aussi bon reproducteur que voyageur 

 

La mère du vainqueur de Tulle est une propre fille du 922/03, un superbe bleu lui aussi, avec la bagatelle de 17 prix en fond, issu d'un frère de l'As National fond 2000. La grand-mère maternelle est, elle, une directe Dieter Ballman.

1er National Narbonne

Le joli et léger mâle bleu de 5 ans qui remporte la palme sur Narbonne, est de petit gabarit, lui aussi très soyeux, avec une aile des plus souples. Son père est le 929/2001, un voyageur avec 15 prix en fond, provenant de chez Dieter Ballman. Le père du 929/01 est le 954/99, père du D'Artagnan Ballman (4ème et 64ème National Perpignan) mais aussi du 1er provincial St Vincent. La femelle accouplée au 954/99 était une Nouwen-Paesen, petit-fille du mondialement célèbre Narbonne.

La mère du 822/10 est la 055/08, 100 % Dieter Ballman, petit-fille du 1er National Perpignan et du 797/98 (4X Barcelone, 4X Perpignan).

Colonie, installations

Côté origines, les Toessens ont été la base sur laquelle s'est appuyé notre ami ; sont ensuite venus se greffer divers origines ayant plus ou moins marché. Un mâle Lecarme (824/83) est entre autre le père du Perpignan, mais aussi du 'crack fond' 263/89, père ensuite du 1er et du 4ème As fond. Une femelle Frenken sera, elle, mère du 4ème As fond. Le Bonten 1100/93 fera aussi souche via de solides voiliers dont le 922/03.

Sur ces origines, vont venir se greffer les pigeons de Dieter Ballman, avec qui un lien d'amitié s'est tissé. Beaucoup de pigeons sont maintenant issus de descendant des pigeons de Amel, via des achats ou des échanges. Un exemple de ce fructueux apport sanguin est le 820/94, père pour Dieter Ballman du 1er National Perpignan, tout comme du 1er National Brive pour Joseph Schmitz.

Les vainqueurs nationaux du 25 juillet sont d'ailleurs issus de ces origines.

 Le petit colombier des yearlings, dévolue pour l'occasion en compartiment d'élevage pour les 2 premiers prix nationaux du 25/07/2015

 

La colonie de notre champion est composée de 14-15 couples de reproducteurs, qui vont donner naissance à 90 - 100 jeunes chaque année.
De ce contingent, 30 à 35 yearlings seront essayés avant de pouvoir défendre leurs chances parmi les 24-27 veufs selon les années.

Je me rappelle en 2005, ma surprise lorsque j'ai découvert pour la première fois la magnifique équipe de veufs de Joseph Schmitz : il fallait, pour s'y rendre, grimper au deuxième étage par un escalier assez étroit et raide. Y monter en visite est une chose, y monter les sacs de grains, en redescendre les pigeons en paniers et les sacs de fientes en est une autre... En arrivant en haut, un couloir sépare le grenier aménagé en colombier en deux parties. A gauche, un compartiment pour les femelles de veufs suivi d'un autre pour les jeunes, les sorties donnant sur la route principale le long de laquelle est installée la maison du 'maître de Baelen'. Sur la droite, un petit couloir donne accès sur la partie gauche à un compartiment pour les yearlings, puis un autre pour les veufs. Au bout de ce petit couloir une porte donne sur un assez petit compartiment de veufs puis, en bout, sous le bas de la pente, via une petite porte percée d'un trou d'observation, sur un autre compartiment de veufs encore plus étroit. Du typique, certes, mais du sec et surtout de l'efficace.

Les reproducteurs sont, eux, logés plus près du sol, le tout ne pouvant tenir aux étages.

Management de la colonie

Les mâles seulement sont joués, tous au veuvage classique, yearlings compris. Les vieux n'élèvent généralement pas ; si ceci doit avoir lieu, ce sera en fin de saison.

 Le plus grand compartiment des veufs

 

Les yearlings, logés dans un compartiment spécifique, sont accouplés 2 fois, pour bien prendre possession de leur domaine ; une première fois début février, puis une seconde en même temps que les vieux, vers la mi-mars. Les vieux couveront alors 6-7 jours, tandis que les 'un an' seulement 3-4 jours avant de passer au veuvage.

Les 'un an' sont épargnés : ils sont éduqués sur le programme demi-fond avant d'aborder une à deux épreuves de fond, Limoges (670 km) ou Tulle (645 km) ; pour ceux ayant le moins montré de qualités, des tests sur Bordeaux (820 km) ou encore Narbonne (863 km) sont mis au programme.

Les 'deux ans', participent à un Bourges (480 km), suivi de 2 fois Limoges (670 km). L'équipe de deux ans sera partagée ensuite pour que chaque élément puisse être enlogé sur une épreuve de fond : ce sera au choix du manager, Montauban, Brive, Jarnac, Tulle ou Libourne. Ils auront ainsi dans les ailes chacun 3 fois un voyage entre 6 et 800 km pour parfaire leur écolage et commencer à montrer leur valeur sur la distance.

A 3 ans, ce seront trois étapes de fond qui seront au programme de ces messieurs ; une équipe, après un Bourges partira pour Valence, Montélimar puis Marseille, tandis qu'une autre équipe fera un Limoges, suivi de Pau, Barcelone et Perpignan. Une troisième équipe sera lancée sur Bourges pour aborder ensuite Cahors, Agen et Narbonne.

Les voiliers volent facilement jusqu'à 6 ans avant de passer au colombier de reproduction. La place se gagne, les pigeons sont ici faits pour voler et montrer leurs qualités sur la durée.

Rien de vraiment spécial n'est fait au niveau de la motivation ; les femelles ne sont montrées 5-6 minutes au départ qu'au-dessus de 600 km. Quand ces demoiselles sont montrées à leurs conjoints en partance, les autres mâles du compartiment seront enlevés du colombier pour ne pas trop les perturber. Idem pour les retours ou souvent, les pigeons restés au colombier seront isolés le temps des retrouvailles des travailleurs du jour, récompense qui dure souvent jusqu'au soir.

Les volées sont proposées deux fois par jour pendant 1 heure. Hormis les entrainements de mise en route au début de saison, aucun entrainement n'est ensuite programmé pendant la saison.

Soins

Les pigeons sont nourris au bac commun ; comme notre champion n'enloge pas par compartiment, ceci demande un peu de feeling pour arriver à jongler entre les différents départs et l'inévitable préparation nutritionnelle qui en découle.

Côté nourriture, plusieurs types de mélanges sont mixés pour offrir un apport le plus complet possible. Pour l'élevage, deux types de mélanges composent les rations : 'Start Plus IC' (Versele Laga) et 'élevage Premium' (Mariman), ces deux aliments ont des taux respectifs de 20 et 17% de maïs; au-delà, les pigeons en gaspillent trop.

 Petit compartiment de veuvage

 

Pour la compétition, au moins 3 spécialités sont mélangées parmi les suivantes: 'Super Start Plus', 'Champion Plus', 'Sport Subliem', 'Super Veuvage', 'Super Power'. Ils en disposent à raison d'une cuillère à soupe bien remplie matin et soir, la régulation en quantité se faisant surtout le soir selon la rapidité avec laquelle la ration est consommée.

Au retour de compétition, ils recevront 2 doses de 'Super Diète' additionnées d'une dose d'élevage. Le lendemain, un peu de dépuratif est au menu, mais rapidement remplacé par le sport, mangeoire commune et différences de programmes obligent.

Les 2-3 derniers jours, les rations sont plus fournies pour permettre d'emmagasiner assez de réserves pour l'effort du voyage retour.

Les pigeons sont aussi soutenus pendant la saison : une semaine ils ont une journée avec sur le grain de l'huile Versele Laga (mix de plusieurs huiles) et de la poudre de condition, la semaine suivante, c'est une journée de vitamines.

Au retour, ils ont des électrolytes et du 'glucopur'.

Pour ce qui est des traitements, rien n'est fait contre la coccidiose, les colombiers étant très secs. Les voiliers sont vaccinés contre la paratyphose, la paramyxovirose et les poquettes. Ils ont ensuite une cure de 7 jours contre la trichomonose avant les courses. Cette cure 'anti-tricho' est suivie de 3 jours de vitamines. Une cure similaire est donnée deux jours durant, 15 jours avant Brive, entame de la saison de fond. Pendant la saison des beaux concours, aucune cure n'est programmée, par contre, les pigeons ont au retour une gellule 'anti-tricho'+ une de vitamines.

Pour les jeunes, c'est vinaigre de cidre et Naturaline® tous les jours dans l'eau ; les vieux ont droit à cette boisson une fois par semaine.

Quelques réflexions...

Comme vous le voyez, Joseph Schmitz n'est pas un fervent adepte de la médication à outrance. Selon lui, si l'on veut écouter les firmes, on donnerait 3 produits par jour. A méditer...

Concernant le prix des pigeons, c'est pareil, la déraison est de mise : tout se vend à des prix fous, « avant on les tuait, maintenant, tout se vend ». Sollicité après ce fameux 25 juillet pour une vente internet sur un site de grand renom, il lui a été demandé d'augmenter très significativement ses tarifs de vente au colombier. Comme avec le fameux Ko Van Dommelen (NL), l'affaire ne pouvait à ses yeux avoir lieu : ce n'est pas ceci que recherche notre homme ; certes il n'est pas contre vendre, mais ce qu'il préfère, c'est le côté humain, l'amitié de revoir un amateur satisfait revenir année après année, garder le contact, loin du business à tout prix. Je complète cette réflexion avec un souvenir que j'ai d'une visite chez notre champion, voici quelques années ; assis à table avec mon épouse, il nous montrait les photos d'un voyage en Asie où il avait été invité à aller vendre des pigeons. Hébergé dans un immense et luxueux hôtel, un matin très tôt, il est allé faire un tour dans une ruelle adjacente. Il a depuis gardé en mémoire la réalité misérable de la vie des gens qu'il a vus alors, loin du faste qui l'entourait quelques étages plus haut. Un homme sans œillères, franc et honnête.

Faire un premier national, c'est extra, mais il faut garder à l'esprit la réalité : « Tu sais, j'en ai bagué 100 pour en sortir un...". Avouez que ce n'est pas tout le monde qui a cette franchise.

Avec une canne et un genou usé

Sur ces paroles vraies, je vous propose de clore cette rencontre avec le champion Joseph Schmitz, double vainqueur national 2015 en une seule journée. Avec une canne et un genou usé, il arrive encore à de tels exploits, que réserve-t-il à la concurrence quand il sera remis à neuf !

En attendant ces futurs exploits colombophiles, avec votre genou tout neuf, je vous souhaite, un très bon et rapide rétablissement. Merci pour ce très agréable moment passé ensemble, succès !

David Chassagne, septembre 2015.